Chemin de compostelle

Ils furent des milliers, des centaines de milliers, sans doute des millions même à marquer de leurs pas le sentier que je vais fouler. Devant les ruines de ce qui fut la plus grande église de la chrétienté romane je contemple les deux tours dressées, sobres et impressionantes à la fois de Cluny. Alentours, les prés verts qu'encadre le brun des haies taillées court ont des parfums de paysages immuables.

Monts du Beaujolais, du Lyonnais, du Pilat et du Velay. Sur les lignes de crêtes, de vallées en cols, de forêts en clairière, sous les averses de neige d'un printemps balbutiant s'ouvre le chemin de Compostelle, mon chemin de Compostelle.

Enfant, devant l'encensoir géant parfumant de volutes célestes le choeur de la cathédrale Saint Jacques, j'ai rêvé de ce chemin mythique me conduisant de forêts en steppes, de montagnes en plages, sur l'une des plus anciennes voies du voyage à pied. J'ai mis, voyage onirique, mes pas dans ceux des pèlerins du Moyen Age et découvert des paysages uniques, une faune fascinante, des merveilles d'architecture ... J'y ai rencontré mille et un "passants de Compostelle", personnages attachants, amusants, agaçants et bien souvent inoubliables.

Réaliser ces deux mille six cent kilomètres à pied est pour moi non seulement l'accomplissement d'un vieux rêve, un retour vers la terre de mes origines maternelles mais aussi une appréhension différente de ce voyage qui, comme dit Bouvier, "vous fait ou vous défait". Le temps de la marche, si profondément différent, brise la perception linéaire du monde. Mon esprit, ricochant de la fragrance fugace d'une orchidée sauvage à l'envol d'un aigle botté, des grimaces d'une gargouille de la cathédrale de Burgos au sourire d'un jeune pèlerin de 12 ans, de la douleur des pieds martyrisés à la joie de franchir les Pyrénnées embrasse l'univers tout entier.

Passé le Puy en Velay le chemin solitaire se fait voie de rencontres. Les marcheurs plus nombreux, aux motivations diverses, sillonent les plateaux du massif central, les causses du Quercy, s'engagent en Rouergue, serpentent en Guyenne pour enfin atteindre le Pays basque.

Porte vers la péninsule ibérique, abritant le mythique col de Ronceveaux, les Pyrénées basques apporte un peu de fraîcheur dans la fournaise de cet été caniculaire. Devant nous s'offrent à présent l'Euskadi, l'Aragon, la Rioja et ses vins fins ... Pamplona, Logroño, Burgos, Leon, les villes portent toutes la marque du passage des jacquets: hôpitaux de pèlerins, organisation de l'urbanisme autour du chemin, lieux de cultes. Même si la modernité a sacrifié beaucoup de ces traces, le "camino francés" est omniprésent.

Après le passage des cols pyrénéens, les difficultés du chemin se sont faites autres. Finies les dénivelées, voici à présent la chaleur. Il faut se lever tôt, très tôt, avant le jour si possible, pour éviter la brûlure du soleil et l'éblouissement du chemin blanc et poudreux. Marcher le matin, manger frugalement vers midi, profiter de la sieste puis admirer les milles et uns détails de cette voie des étoiles.

La nuit venue, les rues s'animent, les bars tapas s'ouvrent et offrent qui des "patates sauvages", qui "des chorizos de l'enfer", qui du "pulpo a feira"... Produits du terroir et vins fins font rapidement oublier les petites souffrances des pieds endoloris, dans une ambiance de partage et de camaraderie exceptionnelle. Les centaines de kilomètres défilent et, sans que l'on s'en aperçoive, quasi, on atteint Leon, la "maragatierra" et déjà la Galice ouvre ses chemins creux à nos pas. Le bruit des torrents que l'on avait fini par oublier s'offre à nouveau à nos oreilles, l'ombre des chataîgniers estompe l'ardeur du soleil. Au castillan a succédé le "galego" aux tonalités plus rugueuses, plus conforme à son image de langue de terre celte.

Décrire l'arrivée à Saint Jacques serait impossible. Comment retranscrire ces mélanges de sentiments de joie et de tristesse d'une route qui s'achève. Comment résumer l'ambiance de cette ville exceptionnelle, bouillonnante de vie et le contraste avec la quiétude du chemin. Il y aurait tant à dire que l'indicible n'y suffirait pas et pour mieux savourer ces sensations, mieux vivre ce mélange de sentiments quoi de mieux que de poursuivre la camino frances jusqu'à Fisterra.

Quatre, Cinq, six jours de marche tout au plus pour atteindre la fin de la terre, le Cap Finisterre, Fisterra en galicien. Tout à l'ouest de l'Europe, à quelques pas seulement d'où, selon la légende, s'échoua la barque contenant les restes de l'apôtre St Jacques ...