Le feu de Vulcain

Je dois l'avouer, j'ai attrapé le virus! Etait-ce enfant, en lisant le "Voyage au centre de la Terre" de Jules Verne, plus tard en découvrant les exploits de Maurice et Katia Kraft ou l'oeuvre photographique d'Olivier Grünewald, je ne sais. Mais ce virus c'est incontestablement réveillé en Islande. Découvrir cette terre vibrante, grondante, fumante, en un mot vivante fut un bouleversant émerveillement. Deux ans plus tard, été 2004, la décision était prise, je voulais voir jaillir le sang de la terre, voir "du rouge".

Et pour cela, quoi de plus évident que d'aller rencontrer Vulcain sur son propre terrain ; la Sicile et les îles Eoliennes. Au delà de l'évidence il faut bien admettre que découvrir des îles aussi réduites et disséminées que les Eoliennes impose souvent de passer plus de temps sur un bateau que sur les sentiers. Un paradoxe pour le passioné de marche que je suis, vous en conviendrez. Je saisis donc cette contrainte comme une opportunité de voyager autrement et optais pour l'embarquement sur un voilier; le Sigismondo et son pittoresque capitaine.

Me voici donc à Taormina, après trente et une heure d'autocar et quelques heures de train à travers la France et l'Italie ! Des volcans ? Aucun à l'horizon! De voilier ? Pas avant deux jours, comme prévu. C'est donc l'instant pour le farniente. Et je comprends là, à flâner le soir sur le petit port de pêche, admirant l'architecture des ruelles tortueuses, dégustant l'arancine* qui enduit mes doigts d'huile ou sifflotant ma granita de limone toute la valeur culturelle et d'art de vivre qu'il y a dans ce mot.
Cap sur Vulcano. L'équipage est réduit au capitaine, au mousse, à la cuisinière et au guide vulcanologue, ce qui, sur ces eaux bleues et calmes devrait très largement suffire. Après deux heures de mer nous approchons de la première des îles éoliennes, Vulcano. Pentes raides et dénudées aux couleurs d'ocres claires, odeurs de souffre et panorama 360° sur la mer, ce volcan, éteint, offre une approche en douceur de cet univers hors norme.

Le Sigismondo fend les vagues, salue au passage poissons volants et espadons jaillissants hors des eaux bleu-nuit. A l'horizon, un cône parfait se dresse. Le Stromboli est là, maintenant tout proche, avec son village blanc blotti au pied du monstre fumant. Quelques heures d'ascencion à peine, à la nuit tombante, et l'attente commence. Les nuages d'orages s'amassent autour du cratère, renforçant le caractère dramatique de la scène. Un premier grondement et les nuages s'empourprent. Un quart d'heure plus tard, une nouvelle explosion. Les bombes volcaniques fusent à des hauteurs vertigineuses, feu d'artifice aux dimensions inouïes. Retombant dans les pentes à pic, ces bombes roulent dans un bruit de céramique brisée, rougeoyantes jusqu'à mourir dans une explosion de vapeur dans la mer. D'une régularité surprenante, le Stromboli nous offre, un quart d'heure plus tard, un nouveau déchainement de feu et de grondements. Mais à ces grondements de la terre le ciel répond de ses coups de tonerre, sonnant l'heure de la redescente.

Taormina, Salina, Lipari, îlots et villages méditerranéens, jeux de couleurs vives, roses-fuschsia des fleurs de bougainvilliers, chaux blanches, noirs profonds des obsidiennes, bleus turquoise des littoraux, ...

Vient l'heure de se confronter à l'Etna. Plus de 3000 m de puissance dominant la Sicile. Ascencion progressive, sur deux jours. Découverte de la vie colonisant les anciennes coulées de basalte noirs, lie-de-vin, gris cendre. Bosquets de bouleaux, spino cristo aux fleurs roses tendre dans les enfractuosités de lave. Quitter les sentiers battus, pentes de cendres noires, glaciers recouverts de cette poussière omni-présente. Pentes raides, explosions régulières avec projection. Derniers mètres avant d'atteindre la lèvre du volcan. Essouflé, je contemple la terrasse qui surplombe le cratère. Balayée par les vents, saturée de vapeurs toxiques, la terrasse noire de suie est veinée de cristallisation jaunes du souffre et blanc immaculé du chlore. Masque sur la bouche, les yeux brûlants des irritations des brumes toxiques, je m'approche de l'abîme. La profondeur du gouffre est vertigineuse, ses parois fument, des grondements s'échappent régulièrement et quelques cendres viennent régulièrement crépiter sur les casques,... il est grand temps de descendre.



* boule de riz fourrée à la tomate et au jambon, servie frite