Groënland - fjord Angmassalik en kayak de mer

26 juillet 2008. Sous une pluie froide nous atteignons Tasiilaq, ville inuit des fjords de l'Est, après 5 heures de vol depuis Paris coupées d'une escale à Reykjavik d'une journée. Notre camp de base, tourne le dos à l'agglomération de maisons rouges pour faire face à un iceberg gigantesque, l'ambiance est posée. Abrités des vents qui soufflent au large, nous profitons des deux premières journées pour prendre nos marques: Réglages des kayaks bi-places, prise de contact du groupe, conditionnement des vivres et quelques milles dans la baie pour mieux connaître son co-équipier, synchroniser les coups de pagaies. Quelques balades dans la toundra complètent le programme sans pour autant calmer notre désir de remonter au plus vite ce fameux fjord Angmassalik jusque, si la chance nous sourit, atteindre le glacier Rasmussen.





29 juillet 2008. Nous apprenons avec joie que les conditions s'améliorent et qu'il nous sera rapidement possible de passer le petit détroit exposé pour rejoindre en quelques heures de navigation le premier bivouac. Nous quittons notre iceberg de Tasiilaq et, vent debout, engageons les quelques 300kg de nos nautiraids dans les eaux noires arctiques. Bientôt la houle est plus marquée, les embarcations voisines jouent à cache-cache dans le creux des vagues. L'armature de bois souple des Nautiraid épouse les eaux avec douceur. Gemmes étincelantes sous de rares rayons de soleil, d'innombrables icebergs constellent la ligne d'horizon.30 juillet 2008. Réveil aux environs de 7h00 sous une nuée de diptères affamés. Traduisez "les moustiques nous dévorent". Il faut dire, à leur décharge, que tout leur sourit ici; terrain humide, chaleur du petit matin et une obligation de se reproduire en un minimum de temps, l'été arctique. Nous quittons le camp pour frôler une arche de glace aux dimensions indescriptibles. Les grondements permanents des icebergs, comme des coups de tonnerre se mêlent aux craquements des glaces sous tensions, tout vit; "Objets inanimés avez-vous donc une âme?".31 juillet 2008. Les cirrus s'amoncelant hier au soir dans le soleil rasant annonçaient la pluie, aujourd'hui au rendez-vous. Une première goutte crève la surface lisse d'une mer gris-mercure dont les limites se fondent avec le ciel dans des écharpes de brumes. Plic-ploc, chaque goutte forme une minuscule bulle qui crève aussitôt à la surface, l'ambiance est irréelle, les coups de pagaies se succèdent aux coups de pagaies, hors du temps, hors de tout repère. Et le camp est bientôt là, la tente mess abrite nos paroles tandis que les brumes s'enflamment dans le soleil du soir.01 août 2008. Le soleil règne à nouveau sur le fjord. Au loin, un grondement puissant s'élève de l'eau en panaches brumeux; baleines ... Petits rorquals et rorquals communs prennent leur respiration avant de cambrer le dos dans une plongée nourricière ... instants magiques. Les montagnes encadrant le fjords se redressent en parois immenses de granit. Dans une crique, un torrent puissant né des névés surplombant la mer a déposé des terrasses d'alluvions qui constitueront notre bivouac.03 août 2008. Nous quittons Kuumit, unique village inuit de notre périple pour entrer dans une étroite passe, enserrée entre des parois vertigineuses de granit. Nous pagayons bon rythme sous le soleil brûlant arctique quand un courant violent nous barre le chemin. Un jeu d'écluses naturelles relie des bassins d'altitude différente et provoque des jeux de marées inhabituels et contraires. Pour prendre notre mal en patience, nous grimpons à pied sur un petit col à cinq ou six cent mètres d'altitude. De dalle lisse en coussinet de mousses, d'éboulis en buissons de saules rampants nous atteignons le sommet d'où s'offre la vue sur l'entrelacs des fjords.05 août 2008. La nuit fut fraîche et le thermomètre est descendu à -4°C sous tente. Ce climat, ce rythme, cette vie est désormais notre quotidien. Il nous faut, aujourd'hui, traverser dans la largeur le fjord Sermiligaq qui nous sépare de notre dernier camp. La mécanique est maintenant bien huilée, les gestes bien synchronisés, le rythme bon et les milles défilent, malgré le courant dérivant. Accostage en douceur sur la plage de sables de micas noirs veinées d'oxydes de fers. Le camp ? Un petit lac surplombant la mer, une cabane rouge dominant la plage, des arnicas constellant la toundra tandis qu'un couple de grands corbeaux rivalise de vocalises et qu'un renard polaire nous rend visite.06 août 2008. Nous y sommes ! Devant nous, le front du Rasmussen vêle ses icebergs et ponctue d'un trait bleu-gris-blanc sur l'horizon notre périple groënlandais
. Des eiders à duvets glissent devant les kayaks. Derrière nous les souvenirs encore brouillons et trop nombreux des instants magiques, des paysages sans cesse renouvelés, les paroles échangées, des gestes quotidiens, ... Profiter de chaque instant, mémoriser chaque détail, ces reflets des nuages dans le fjord, ces icebergs échoués en rang serré sur la plage, cette cascade à pic, s'accrocher à chaque image comme pour éviter que ce voyage, comme chaque voyage, ne devienne qu'un rêve qu'on sait avoir vécu mais ne restera qu'un rêve.