Tassili N'Ajjers - Sahara (1/2)


Le Grand Erg Oriental, traversé l'hiver dernier, m'avait livré nombre des secrets des dunes, mais c'est un univers nouveau, inconnu, qui s'ouvre à moi. Le Sahara des Tassilis. Un monde de grès, de roches cuites de soleil, marquées encore du temps où les eaux furent abondantes. Le plateau de Dider, au coeur du Tassili des Ajjers, m'accueille de ses plus beaux atours. Gravures rupestres vieilles de plus de 6000 ans représentant rhinocéros, giraffe, gazelle, ... paysages majestueux d'immensité vide, ciels étoilés où se dessinent des milliards de mondes imaginaires.
L'équipe sera, pour la première quinzaine, une équipe chamelière touarègue composée d'un cuisinier, de deux chameliers et un guide, Dheba. Ensemble, nous descendons du plateau vers l'Erg Admer au travers de gorges profondes, de canyon encaissés. Marchant tantôt sur le sable mou de fond d'oued, tantôt sur la roche rugueuse des grès, avançant doucement solan-solan dans le labyrinthe de la montagne creusée par les eaux disparues, dévalant des éboulis où nos dromadaires rechignent à poser le pied nous traversons un monde de pur silence.
Réduit à l'essentiel, notre monde s'organise autour de la caravane. Bâter, baraquer, manger frugalement quelques morceaux de taguella, cette galette de semoule cuite dans le sable qu'accompagne un peu de légumes cuits dans la soupe, boire le thé. Ce rituel scande notre journée et, malgré le manque crucial de bois, il n'est pas un jour, un repas ni même une pause qui ne soit prétexte à prendre le thé vert. A l'armoise ou nature, puisqu'ici la menthe fait défaut il est servi à trois reprise dans de petits verres que seuls des miracles conduisent, intacts, de bivouac en bivouac.
Trois jours que nous marchons et le canyon s'élargit, prenant au fond des airs de savanes tanzanienne. Dheba retrouve le sourire que l'inquiétude d'un accident dans les défilés isolés, loin de tout, lui avait fait perdre. Une famille nomade occupe, non loin, les abords d'un puits. Palabres autour du feu, thé vert, ... se glisser dans le duvet, se blottir pour éviter la morsure du gel et ... s'endormir jusqu'aux premières lueurs.
La caravane s'étire maintenant dans un espace infini de sables que seul le Tassili limite à l'ouest. Ici le temps et la distance se fondent en un sentiment étrange, à la limite de la déraison. Les rares tamaris ponctuent nos journées: il y a le tamaris du bivouac du matin et celui du bivouac du soir, au milieu, rien. Au cœur de l'un de ces vénérables arbres, une boule de plume de couleur sable ouvre des yeux d'or sur mon sac de couchage. La chouette chevêche du désert! Improbable rencontre. Et les traces du guépard aperçues quelques jours auparavant, les traces de vipères cérastes, de chacal, ... complètent le tableau de ce bestiaire saharien invisible, silencieux.
Pitons, colonnes, arches, le tassili arbore des visages de parcs nationaux nord américains, la caravanne de dromadaires en plus. Dans un dédale de grès multicolores, composant un caleidoscope de formes animales et de visages minéraux nous cheminons, plein sud, vers l'oasis de Djanet que nous atteignons enfin, au détour d'une dernière dune rouge. Une mer de palmiers-dattiers s'ouvre à nos pas tandis qu'au loin des promesses de nouvelles découvertes se nomment Tamrit, Sefar, Jabbaren.