Dernières neiges du Kilimandjaro


Août 2007, Tanzanie. Derrière moi, le village de Rongaï, la piste d'Arusha et les heures passées à manger de la poussière. Devant moi, le mythe: Kilimandjaro, le toit de l'Afrique, strato-volcan de 5895m, les neiges éternelles sous l'équateur... Et au delà du mythe, il s'agit d'un rêve. Celui de passer en six jours des forêts pluviales aux glaciers en traversant les landes à bruyères arborescentes, les tourbières alpines, les pelouses d'immortelles et les deserts de très haute altitude.

Le rythme est lent "pole-pole", le pas mesuré, le souffle économisé. Passé le premier camp à 2300m, je quitte la forêt pour un paysage de bruyères géantes. Au second camp, baptisé "second cave" à 3400m, la tourista entre en scène. Ajoutée à l'altitude, le risque de déshydratation est important. Nuit blanche sous le clair de lune.


La végétation se fait rare à partir de "Third Cave", le troisième camp (3840m) d'où je pars pour une marche d'acclimatation jusqu'à 4100m. Le va et vient incessant des nuages impose d'étonnantes variations de températures, de 10°C à près de 30°C en quelques minutes à peine. Le Mawenzi, second sommet du massif du Kilimandjaro nous offre le spectacle de ses aiguilles verticales.


Voici le dernier camp. Kibo Hut (4700m). La fatigue se fait sentir et l'altitude marque les visages. Il faut se ménager pour l'ascencion nocturne de 1200m de dénivelés positifs. 23h30 je sors du sac de couchage: - 10°C sous tente !


L'ascension commence 4700m, 4800m, 4900m 5000m ... et le trou noir, la syncope. Je me réveille entre deux guides qui m'ont redescendu jusqu'à 4800m. Fatigue, déshydratation, dénutrition, froid, altitude, quels sont les coupables ? Court test d'acuité intellectuelle; ça va. Droit à une seconde chance, mais pas de troisième possible. Le corps se raidit, l'esprit est tendu vers le sommet. Le froid est intense, presque insuportable malgré un équipement de haute montagne. Mes pas dans ceux de Davide, mon guide Chagga, je progresse lentement. Gillmans' point 5681m est atteint, il s'agit du bord du cratère, première victoire. Deux heure et demie seront encore nécessaire pour atteindre Uhuru peak.


7h du matin, 5685m d'altitude, - 22°C. Il aura fallu plus de sept heures d'efforts pour admirer, enfin, le soleil levant sur les dernières neiges du Kilimandjaro. Au fond, le Kili projette son ombre sur la mer de nuage et le Mt Meru. Il faut rapidement penser à descendre, quitter à tout prix ces altitudes où le corps souffre. Mes camarades sont atteints de nausées, de maux de tête et de trouble de la perception. Et c'est la descente, comme porté par le bonheur de ce spectacle.


Deux heures de descente jusqu'à Kibo Hut, une heure de repos puis à nouveau la descente, à travers le Saddle, cet immense plateau désertique sous une chaleur suffocante. 3800m, 25°C. La journée est splendide par les variations de décor, d'ambiance, par les sensations uniques qu'elle procure. Mais c'est épuisé que je gagne le dernier camp après 13h30 de marche, 1200m de dénivelés positifs, 2100m de descente et près de 50°C d'écarts thermiques supportés dans cette même journée.

Après une bonne nuit, la dernière étape s'offre à nous. 12h à travers landes à séneçons géants, tourbières, forêts de bruyères et forêts tropicales. Dans ces dernières, l'eau coulant partout, les cris des singes omni présents, la douceur des lumières tamisées par les feuillages tranchent avec la violence de l'étape précédente. "Kill Kili or Kili will kill you" disait le guide. Mais le Kili ne se vaint pas, ne s'apprivoise pas même, tout juste accepte-il d'offrir à quelques privilégiés le spectacle irréel des dernières neiges.